Chères toutes, chers tous,
Je partage rarement des éléments personnels, mais aujourd'hui je voulais vous parler d'une proposition que j'ai reçue et qui m'a fait réfléchir sur notre façon de parler des livres, de les partager, de les vivre.
J'ai récemment reçu une proposition sympathique de la part de la collection R (mon éditeur) : participer à un festival littéraire en ligne en réalisant un « reels » (une courte vidéo) où je devais répondre aux questions suivantes :
Le 5, 4, 3, 2, 1…
5 livres incontournables de votre bibliothèque
4 mots pour décrire votre roman
3 tropes que vous adorez
2 secrets sur vous/votre roman
1 vœu pour 2025
Ou :
L'interview
3 mots pour décrire votre roman
La première lecture dont vous vous souvenez
Le livre qui vous a donné envie d'écrire
Le livre que vous auriez aimé avoir écrit
Le genre que vous préférez écrire
3 mots pour décrire votre prochain roman
J'ai décliné cette proposition, et je voulais vous expliquer pourquoi, tout en partageant avec vous quelques réflexions plus profondes sur ces questions.
« Le Pays qui descend » est dédié « à nos enfants, puissent-ils inventer leurs propres pentes », et cette dédicace n'est pas anodine : le livre raconte un passage violent de l'adolescence à l'âge adulte, cette période où l'on doit apprendre à tracer son propre chemin, parfois en rupture avec ce que la société attend de nous. Li, mon héroïne, comme tant d'adolescents, doit affronter un monde qui veut la faire « descendre » ou « se fixer » dans un moule préétabli, qui veut définir son identité par ses origines – ou leur absence.
Comment résumer en quelques mots ou dans une courte vidéo cette traversée douloureuse mais nécessaire ? Comment capturer en format court la violence de ce moment où l'on découvre que le monde des adultes n'est pas celui qu'on nous avait promis, qu’il est violent, qu’il est injuste, mais parfois aussi terriblement beau ?
Comment, surtout, être en adéquation avec la réponse que Li apporte à ces problématiques, et faire comprendre que répondre en un mot ou deux est en totale inadéquation avec tout ce que je défends ? Je ne crois ni aux héros ni aux héroïnes – je crois que ces figures sont dangereuses, qu'elles nous absolvent de toute envie de mettre la main à la pâte, qu'elles nous renvoient l'idée fausse et dangereuse que quelqu'un viendra nous sauver, à notre place… Pas de Batman, pas de Superman, pas de 1, pas de 2, pas de 3, et s'il y a une héroïne au sens traditionnel du terme (personnage principal), il n'est pas dit qu'elle parviendra à sauver quoi que ce soit (pas de spoiler).
Mais puisque vous êtes là, Chères toutes et Chers tous, et que nous avons l'espace pour développer, jouons le jeu ensemble. Voici mes réponses, sans contrainte de format ni de temps :
Le 5, 4, 3, 2, 1 :
5 livres incontournables de votre bibliothèque : je lis plus des auteurs que des livres, alors je dirais, si je ne devais garder que 5 auteurs dans ma bibliothèque (une tragédie), ce serait : Camus pour sa posture face à l'absurde, Lovecraft pour sa capacité à dire l'indicible, Proust pour son exploration du temps et de la mémoire, Balzac pour sa fresque sociale implacable, et Flaubert pour sa quête de la phrase parfaite.
4 mots pour décrire votre roman : 1 mot suffit : pentu.
3 tropes que vous adorez : Étant donné l'univers et les thèmes du « Pays qui descend », je dirais que les trois « tropes » les plus pertinents seraient :
· Géotrope (qui réagit à la pesanteur, comme les racines qui poussent vers le bas) : car tout l'univers de mon livre est structuré autour de cette notion de pesanteur, de descente. La société elle-même est organisée autour de ce principe fondamental ;
· Anisotrope (qui a des propriétés variables selon la direction) : cela correspond bien à la façon dont les propriétés du monde changent selon qu'on monte ou qu'on descend, et à comment les personnages sont définis différemment selon leur position et leur direction ;
· Allotrope (comme le carbone qui peut être diamant ou graphite) : fait écho à la transformation de Li et des autres personnages au fil de leur voyage, comment ils deviennent différents tout en restant eux-mêmes, comme différentes formes d'une même essence.
Comment ça je n'ai pas répondu à la question ?
2 secrets sur vous/votre roman : mon livre a été écrit pour mes filles, en pensant à elles. J'en ai commencé (et terminé) le tome 1 (« Le Pays qui descend ») en 2013, puis j'ai fait une dépression… et j'ai eu un blocage de 10 ans, si bien que le tome 2 (« La Terre qui monte ») n'a été écrit qu'en 2023. Ça fait bien un secret ou deux, non ?
1 vœu pour 2025 : Je sens que c'est là qu'il faut être original et faire preuve d'esprit, et pourtant, ce que je vous souhaite, c'est le meilleur – sachant que quand les dieux veulent nous punir, ils exaucent nos souhaits…
Ou :
L'interview
3 mots pour décrire votre roman : comme ci-dessus, je dirais « pentu », après, j'ai toujours pensé que ça n'était pas à l'auteur de décrire son roman – mon roman je n'ai pas à le décrire, mais à l'écrire – et ça, je l'ai fait. Maintenant, la parole est à vous.
La première lecture dont vous vous souvenez : un album d'images sans paroles racontant les aventures d'une jeune fille face à une sorcière, je me souviens vaguement de la sorcière volant sur son balai, d'une forêt, de jolies illustrations pastels, je me rappelle avoir été envoûté par ce livre, comme si moi aussi je pouvais apprendre à voler sur un balai, comme si tout ça était vrai… J'aimerais beaucoup remettre la main sur cet album dont je ne connais bien sûr ni le titre, ni l'auteur, ni l'éditeur. (Si vous avez une idée, contactez-moi, on parle d'un livre publié manifestement avant 1975.) (Je suis vieux, je sais.)
Le livre qui vous a donné envie d'écrire : aucun en particulier, plutôt le désir d'écrire, de travailler (et de vivre) « l'écriture sous toutes ses formes » ; le roman était plutôt tabou pour moi – à cause de mes origines –, et je voyais ça comme un interdit. Mais l'envie d'écrire a toujours été là, d'aussi loin que je me souvienne. L’écriture m’est toujours apparue comme un prodigieux moyen (magique ?) d’interagir avec le monde.
Le livre que vous auriez aimé avoir écrit : un livre aidant les gens à vivre (mon éditeur aurait préféré un méga best-seller, mais je me dis qu’on peut avoir les deux – alors mettons : un best-seller aidant les gens à vivre !)
Le genre que vous préférez écrire : j'aime tous les genres, j'ai su depuis l'âge de 12 ans que j'étais intéressé par « l'écriture sous toutes ses formes », fiction, non fiction, scénario, pour adulte, jeunesse, traduction, poésie, théâtre, etc. J'aime l'écriture en général et toutes les formes se nourrissent les unes les autres. Je crois aux mots. (Un petit secret en bonus : j’aime même les romans feel good et les comédies sentimentales !)
3 mots pour décrire votre prochain roman : inattendu (dans la mesure où je ne sais pas encore précisément ce que c'est, même si plusieurs formes tournent dans ma tête). Je le laisse advenir. (C'est bizarre cette manie de me demander de « décrire » mon roman, je ne suis pas un « décrivain » que diable, je suis un écrivain !)
Si vous souhaitez échanger plus longuement sur ces sujets, n’hésitez pas à me répondre en privé ou à mettre un commentaire – je suis toujours disponible pour des visios, j’en fais régulièrement. Ce que j’aime, c’est les gens – dans l’échange ! (Pour le reste on aura bien le temps quand je serai mort.)
Ces vraies rencontres sont pour moi l'essence même du partage littéraire.
Au plaisir,
David
Évidemment, tu te relis et tu trouves une faute de grammaire : "l'écriture m'est toujours apparue", que diable...
J’aime bien cette réflexion sur le fait que les héros nous renvoient à l’idée fausse que quelqu’un viendra nous sauver, faire le boulot à notre place. Néanmoins, il me semble qu’en littérature contemporaine, le terme est plus souvent employé dans son acception traditionnelle (comme vous le mentionnez), au sens de « personnage principal ». Et, bien souvent, il (ou elle) doute, souffre, se contredit et se trompe, plus qu’il ne sauve qui que ce soit (à commencer par lui-même). Tous ces « héros » ont quelque chose à apporter, je crois, qu’ils soient « héroïques » ou non. Je suis intriguée par votre pente, soit dit en passant. Et aussi, de façon plus indiscrète, par la façon dont vous êtes parvenu à surmonter la fameuse interdiction (comme je comprends !) et à écrire.