Si vous lisez ceci, c’est que vous êtes sur Substack, et que j’y suis aussi. Pourtant, il y a quelque temps (cf. ci-dessous), cette plateforme défraya la chronique en raison de sa permissivité, ou tolérance à l’égard de contenus pour le moins discutables…
L’origine du test
Tout a commencé le samedi 4 janvier 2025, sur Mastodon, lorsqu’un contact m’a interpellé au sujet de ma récente présence sur Substack, m’expliquant : « Je n’y suis pas, parce qu’ils défendent la liberté d’expression des nazis. » Je suis donc allé lire l’article de Numerama qu’il partageait avec moi (https://www.numerama.com/politique/1597194-que-se-passe-t-il-avec-substack-et-les-nazis.html), et m’interrogeai sur ma présence sur Substack, moi qui refusais d’être sur X, ou Facebook, ou Instagram, en raison des choix politiques et éditoriaux de leurs propriétaires.
Tout cela m’inspira une expérience : tester la modération de quelques plateformes face à l’art, en utilisant le fameux tableau de Courbet « L’Origine du monde » comme révélateur.
« L’Origine du monde », peint par Gustave Courbet en 1866, n’a cessé de nous amener à nous interroger sur notre rapport à la censure et à la liberté d’expression artistique. D’abord caché derrière un rideau vert chez son premier propriétaire, puis soigneusement dissimulé derrière un cadre à double fond[1] pendant des années chez Jacques Lacan, il fait aujourd’hui partie des collections du musée d’Orsay[2]. En 2011, Facebook en censurait encore les reproductions photographiques, provoquant un débat juridique avec un utilisateur français[3]. Cette histoire de censure et de visibilité en fait un test particulièrement pertinent pour évaluer la maturité (ou le laxisme) des plateformes numériques.
Le test et sa méthodologie
En 1950, Alan Turing proposait son test célèbre sur l’intelligence artificielle : si une machine peut converser avec un humain sans que celui-ci puisse déterminer sa nature artificielle, elle peut être considérée comme « intelligente ».
En 2025, je propose le « test de Courbet » : si une plateforme censure « L’Origine du monde » tout en tolérant des discours à caractère haineux, elle échoue à démontrer une intelligence sociale et artistique fondamentale.
Mardi 7 janvier 2025, en début d’après-midi, j’ai donc posté ce tableau sur trois plateformes – Substack, Bluesky et Mastodon[4]. Douze heures après, les résultats sont révélateurs de leurs philosophies respectives.
Les résultats
Sur Mastodon[5], réseau que j’affectionne tout particulièrement, non seulement le tableau n’a pas été censuré, mais il a suscité quelques réactions amusées (et amusantes), et curieuses de voir le résultat.
Sur Substack[6], il est resté visible et a même reçu un « like » (mais j’ai très peu de suscribers).
Quant à Bluesky[7], son système de modération s’est révélé le plus sophistiqué : le contenu est automatiquement marqué « pour adultes », mais chaque utilisateur peut ajuster ses paramètres pour voir ou masquer ce type de contenu, comme dans un musée qui préviendrait ses visiteurs avant une salle particulière.
Cette approche contraste avec celle de Facebook en 2011, qui pratiquait une censure pure et simple. Censure qui me conduisit, à l’époque, à me désinscrire de cette plateforme.
Alors ?
Aujourd’hui, ce test m’aide à choisir mes plateformes. Si une plateforme tolère (je ne dis pas « promeut », comme le font X et Meta[8]) au nom de la « liberté d’expression » (à l’anglo-saxonne) la désinformation ou des discours froissant ma sensibilité, mais ne m’oblige pas à y être exposé, et ne censure pas « L’Origine du monde », alors cette plateforme est – peut-être – pour moi.
Ce qui ne signifie pas qu’elle soit pour vous ; chacun son degré de sensibilité politique, culturelle, etc. On a aussi le droit de faire le choix de ne pas être exposé à certains contenus, comme on souhaite être laissés tranquille lorsqu’on discute entre amis dans un café. Personne n’a envie d’être enquiquiné par le pochetron du coin.
Et la conclusion
Ce test de Courbet n’est évidemment qu’un indicateur parmi d’autres pour évaluer une plateforme. D’autres critères entrent en jeu : la qualité des contenus, la pertinence des discussions, la transparence de la modération, ou encore la protection des données personnelles. Mais il révèle quelque chose d’essentiel : la capacité d’une plateforme à gérer la complexité culturelle et à respecter à la fois la liberté d’expression artistique et le choix des utilisateurs de gérer leur exposition aux contenus sensibles. Et si vous voulez discuter de tout cela, et n’êtes pas choqué.e par un admirateur de « L’Origine du monde », vous savez où me trouver.
[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Origine_du_monde#cite_note-30
[2] https://www.musee-orsay.fr/fr/oeuvres/lorigine-du-monde-69330
[3] https://www.lexing.law/wp-content/uploads/2016/02/33674464.pdf
[4] Je n’ai pas effectué ce test sur X, Tik Tok, Facebook et Instagram, n’étant pas présent sur ces plateformes et ne souhaitant pas l’être. Les lecteurs qui y sont actifs sont invités à réaliser ce test et à partager leurs résultats.
[5] https://joinmastodon.org/fr
[6] https://substack.com/home
https://bsky.app/
[8] https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20250107-meta-met-fin-%C3%A0-son-programme-de-fact-checking-aux-etats-unis